Une armée d’inspecteurs de la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), de syndicats de gens de mer et d’autorités portuaires s’apprête à inspecter jusqu’à mille navires battant pavillon des Îles Cook, des Palaos, de Sierra Leone et du Togo au cours des huit prochaines semaines afin de contrôler les conditions de sécurité et d’entretien des bateaux mais aussi le bien-être des équipages ; ces inspections s’étendront sur l’ensemble de la Méditerranée.
« Des opérations de transport maritime qui ne respectent pas les normes établies en Méditerranée, ce sont des salaires et des conditions qui se dégradent pour les gens de mer, des équipages qui accomplissent leur devoir au péril de leur vie et une mise en danger de notre environnement, » a déclaré Steve Trowsdale, Coordinateur du Corps d’inspecteurs de l’ITF.
« Ces pavillons utilisent l’argent des armateurs pour enregistrer des navires dont les autres pays ne voudraient pas. Pour beaucoup, ce sont de vieux bâtiments mal entretenus par leurs propriétaires. Bon nombre sont dangereux et ne devraient pas être utilisés, » a-t-il déclaré.
Cette offensive inattendue a été décidée dans le sillage d’une nouvelle analyse démontrant que les quatre registres de complaisance ont été collectivement responsables de l’abandon de plus de 100 membres d’équipage au cours des deux dernières années, et de millions de dollars de salaires non versés aux travailleurs par les armateurs des pavillons concernés, que l’ITF a ensuite dû récupérer pour le compte des gens de mer.
Lorsque l’ITF ou ses syndicats affiliés réclament des pavillons qu’ils résolvent des problèmes causés par des armateurs irresponsables, comme les cas d’abandon d’équipage, Trowsdale dresse souvent le constat suivant : « c’est là que ces pavillons deviennent invisibles – ils prennent l’argent et disparaissent. »
En à peine trois ans, les faits suivants ont pu être imputés à des pavillons des îles Cook, des Palaos, de la Sierra Leone et du Togo :
- 33 cas d’abandon d’équipage, touchant plus d’une centaine de gens de mer dont bon nombre se sont retrouvés sans salaire, sans vivres, sans eau, ou sans aucun moyen de rentrer de chez eux.[1]
- Plus de 5 500 000 dollars US de salaires impayés aux équipages, que l’ITF a ensuite dû récupérer auprès des armateurs recourant à ces pavillons pour les reverser aux gens de mer.[2]
- 5 203 insuffisances ou saisies décidées par des autorités européennes chargées du contrôle par l’État du port.[3]
En France, les efforts des inspecteurs de l’ITF seront renforcés par les autorités nationales de contrôle par l’État du port, qui sont organisées au niveau régional, a déclaré Trowsdale.
Ils cibleront également les quatre pavillons. Une décision fondée, étant donné que les mémorandums d’entente de Paris et de Tokyo ont interdit ou mis en garde contre l’admission de navires battant ces pavillons dans les ports de la plupart des pays d’Europe et d’Asie-Pacifique, respectivement.
La Sierra Leone a récemment affirmé avoir amélioré les choses. En juin 2022, le pays est passé de la liste noire (« risque très élevé ») à la liste grise (« risque élevé ») du mémorandum d’entente de Paris. Toutefois, ce pays d’Afrique de l’Ouest (dont le registre est en fait géré depuis Chypre, une île de la Méditerranée) reste l’un des trois seuls pavillons figurant sur la liste noire la plus récente du mémorandum d’entente de Tokyo.
Les pavillons du Togo, des îles Cook, des Palaos et de la Sierra Leone aujourd’hui qualifiés de « pires pavillons »
« Il s’agit à présent des pires pavillons sillonnant la Méditerranée, » a déclaré Seddik Berrama, Secrétaire général du syndicat algérien des transports FNTT et Vice-président de l’ITF pour la région du Monde arabe.
Berrama a qualifié de révélateur le fait que les quatre pavillons n’apparaissent pas sur les listes blanches de qualité émises chaque année par les mémorandums d’entente de Paris et de Tokyo.[4]
« Les principaux groupements représentant les autorités de contrôle par l’État du port à l’échelle mondiale ont déclaré que ces pavillons étaient médiocres. Selon eux, ils présentent un risque élevé, voire très élevé. Ce constat est inacceptable du point de vue de la sécurité des équipages, mais aussi pour celles et ceux d’entre nous qui dépendent d’une eau de mer propre, comme c’est le cas de nos communautés portuaires ici en Algérie, » a déclaré Berrama.
« Notre objectif est de lever le voile sur les opérations de transport maritime qui ne respectent pas les normes établies, et auxquelles nous assistons pourtant régulièrement dans nos ports. Si nous parvenons à mettre au jour les abus subis par les équipages à bord de ces navires, trop souvent ignorés par les pavillons concernés, alors nous enverrons un message fort quant au caractère inacceptable de ces pratiques. »
Le syndicat que Berrama représente n’est pas le seul dont les membres se soucient du nivellement par le bas dans lequel se sont engagés le Togo, les Îles Cook, les Palaos et la Sierra Leone en Méditerranée.
Sur le littoral nord, le Syndicat des gens de mer de Croatie (SUC) fait part depuis quelques années déjà d’une frustration croissante face aux risques que certains pavillons font courir aux équipages. Le Congrès de l’ITF a approuvé en 2018 une motion du SUC déclarant la Méditerranée « mer de complaisance » ; à cette occasion, l’ITF a reçu comme mandat de mettre au point une campagne ciblée afin de débarrasser la Méditerranée du fléau des opérations maritimes non conformes aux normes.
Étude de cas : un équipage privé de vivres à Haïfa, à bord du Kassandra, battant pavillon de la Sierra Leone
Le Kassandra (OMI : 9118276), un cargo polyvalent battant pavillon de la Sierra Leone, a récemment été saisi pendant 23 jours par les autorités israéliennes de contrôle de l’État du port à Haïfa après la mise au jour de 46 insuffisances en matière structurelle, de navigation, de sécurité incendie et de bien-être de l’équipage.
Sans accès à des congélateurs en état de marche, l’équipage n’avait donc aucun moyen de conserver les aliments au frais alors qu’une vague de chaleur écrasante s’était installée en Méditerranée.
« Les faits ont été constatés au mois d’août, quand il fait très chaud et humide, » a déclaré l’inspecteur de l’ITF Assaf Hadar. « La réserve de nourriture était insuffisante, il ne restait que quelques légumes à bord. Ils ne pouvaient pas poursuivre leur voyage. Sous ce pavillon, ce genre de situation est monnaie courante. »
Hadar fera partie de l’équipe d’inspecteurs de l’ITF qui prendra part à la campagne de contrôles rigoureux menés auprès de tous les navires immatriculés aux Îles Cook, aux Palaos, en Sierra Leone et au Togo, dans l’ensemble de la Méditerranée.
« Ces pavillons sont particulièrement problématiques pour les gens de mer qui travaillent en Méditerranée. J’ai pu constater que ce sont les armateurs les plus médiocres qui utilisent ces pavillons ; ils pensent qu’ils pourront ainsi mal traiter leur équipage ou rogner sur la sécurité. Eh bien ils se trompent – pas tant que l’ITF sera là ! » a déclaré Hadar.
Fin
Notes to Editors:
This article was updated on 20.03.2023 to reflect the latest information available from the Paris MOU. An earlier version of the article contained a table which incorrectly showed Sierra Leone as being on the Paris MOU black list ('very high risk'), which it came off in June 2022. It remains on the Paris MOU grey list (high risk), and continues to be one of only three flags on the Tokyo MOU black list.
References:
1. Base de données de l’OIT sur les cas signalés d’abandon ; données sur les abandons du Corps d’inspecteurs de l’ITF
2. Données du Cors d’inspecteurs de l’ITF sur le recouvrement de salaires impayés
3. Mémorandum d’entente de Paris, 2020-22
4. En vertu du MoU de Paris : « Chaque année, une nouvelle liste blanche, grise et noire est publiée dans le rapport annuel du MoU de Paris. Les ‘listes blanche, grise et noire’ répertorient l’ensemble des pavillons, allant des pavillons de qualité aux pavillons médiocres, considérés comme présentant un risque élevé voire très élevé. Ces listes se fondent sur le nombre total d’inspections et de saisies réalisées sur une période de 3 ans, pour les pavillons visés par au moins 30 inspections au cours de la période considérée. »
À propos de l’ITF : La Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) est une fédération syndicale démocratique dirigée par ses affiliés, reconnue comme l’autorité mondiale en matière de transports. Nous nous battons passionnément pour améliorer le quotidien des travailleuses et travailleurs, unissant les syndicats de 147 pays pour obtenir des droits, l’égalité et la justice pour leurs membres. Nous sommes la voix de près de 20 millions de femmes et d’hommes qui font bouger le monde.