DÉCLARATION DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ITF, STEPHEN COTTON | VIH/SIDA | CRISE DE LA RELÈVE DES ÉQUIPAGES
La Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) et sa grande famille syndicale d’affiliés représentent vraisemblablement des centaines de milliers de travailleuses et travailleurs parmi les 37,9 millions de personnes qui, de par le monde, vivent avec le VIH ou le sida.
Ces personnes sont nos mères, nos pères, nos frères, nos sœurs, nos enfants, nos collègues. Nous.
La plupart des régions du monde ont aujourd’hui relégué au passé la stigmatisation et la honte associées à la maladie, laquelle, sans traitement, peut toujours nous enlever trop tôt les personnes qui nous sont chères. Et, pour les innombrables autres, les condamner à une vie entière de santé précaire et de factures médicales coûteuses.
Je tiens à envoyer un message à tous ces personnels des transports séropositifs, ceux qui conduisent nos bus, contrôlent nos trains, pilotent nos navires, manipulent nos grues portuaires, nettoient nos avions, ou pêchent notre poisson : notre solidarité est indéfectible.
Et ce, pas uniquement parce la Journée mondiale de lutte contre le sida a cette année pour thème « Solidarité mondiale, responsabilité partagée », mais parce que la solidarité, la vraie, celle qui s’exprime par l’action et les gestes, est une valeur syndicale fondamentale. C’est la solidarité qui nous rend forts, bienveillants, invincibles.
Je tiens à dire à ces personnels des transports – ceux qui se battent pour obtenir les traitements dont ils ont besoin, être soignés, qui doivent toujours cacher leur séropositivité à leurs responsables ou à leurs amis, à qui l’on a asséné qu’ils partiraient vraisemblablement avant la personne avec laquelle ils pensaient vieillir, qui ont parfois cru à ce mensonge voulant qu’ils n’avaient que ce qu’ils méritaient… Je tiens à leur dire que notre solidarité est inébranlable.
Nous accordons une grande valeur à votre apport à la société, que vous-même le pensiez important ou modeste. Vous travaillez dans les transports. Le monde continue de fonctionner grâce à vous. Sans vous, rien n’avance.
Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que chaque travailleur des transports puisse bénéficier d’un accès libre et égal aux soins de qualité et jouir de la dignité sociale dont il a besoin pour vivre une vie longue, heureuse et en bonne santé.
L’une des actions de solidarité les plus pressantes que nous devons mener aujourd’hui concerne les marins séropositifs, qui sont doublement impactés par la situation actuelle. En effet, la crise de la relève des équipages, causée par la fermeture des frontières et la suspension des permissions à terre, les empêche de se procurer les traitements et médicaments dont ils ont besoin pour être en bonne santé et, pour beaucoup, rester en vie.
Les marins séropositifs peinent à se procurer des médicaments pendant la pandémie
Le transport maritime international n’est rien sans sa main-d’œuvre, des gens de mer originaires du monde entier. Ce sont ces près de 2 millions de marins qui, à bord de 65 000 navires, assurent le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement mondiales. Il faut savoir que les marins acheminent 90 % de ce que nous portons, achetons, conduisons et mangeons – de tout, en fait. Et juste avant la pandémie, on comptait plus de 300 000 gens de mer d’horizons extrêmement variés dans le secteur des croisières.
Les marins viennent du monde entier. Philippines, Chine, Inde, Indonésie, Russie, Ukraine, îles Samoa, Royaume-Uni, États-Unis, Italie, Norvège, entre autres… Une communauté cosmopolite qualifiée travaillant dans un environnement stressant et éprouvant, tant sur le plan physique que mental.
Avant, de courtes permissions à terre permettaient aux marins de souffler un peu pour se remettre de leurs semaines de travail éreintantes de six, parfois sept jours. Il faut en finir une fois pour toutes avec le cliché de la fille dans chaque port et des folles soirées de débauche sexuelle, celui-ci étant aussi dépassé qu’injurieux quand on connaît le niveau de professionnalisme de l’industrie maritime moderne. Cependant, comme beaucoup d’autres travailleurs du transport international, les gens de mer enregistrent un taux d’infection au VIH relativement élevé. Il faudrait approfondir les recherches pour en déterminer la cause exacte, mais les perceptions culturelles face à des moyens de prévention comme le préservatif n’y semblent pas étrangères. Et même quand les marins souhaitent se protéger, les préservatifs ne sont pas forcément facilement disponibles.
Dans certains pays, la prophylaxie pré-exposition (PrEP) est maintenant disponible et subventionnée par la sécurité sociale ou les assurances privées. Elle peut s’avérer très efficace pour réduire le risque de contracter le VIH, mais reste très difficile à obtenir sans ordonnance, ce qui peut aussi poser problème quand la prescription n’est pas valable à l’étranger.
Pour les gens de mer qui contracteraient le VIH, il faut savoir qu’en 2020, celui-ci n’est plus une condamnation à mort. Les traitements modernes permettent aux séropositifs de vivre longtemps et en relativement bonne santé. La prophylaxie post-exposition peut même éliminer la contagiosité du virus – ce qui signifie qu’il n’y a presque aucun risque de contaminer de futurs partenaires sexuels. Ceci allège quelque peu le poids de la culpabilité et de la honte historiquement associées au virus. Cette honte qui en a empêché certains de se soigner, se mettant ainsi en danger.
Malgré les progrès médicaux, la stigmatisation sociale perdure au sein de certaines communautés, et les préjugés ont la dent dure. Je compatis avec les travailleurs qui préfèrent ne pas révéler leur séropositivité à leur employeur ou à leurs collègues sauf en cas d’absolue nécessité. Mais il peut se révéler difficile et stressant de la garder pour soi quand on travaille en mer. Il n’y a guère de place pour la vie privée à bord d’un navire qui sera votre maison flottante pendant des mois.
Même avant la pandémie, l’accès aux traitements VIH était un vrai parcours du combattant pour les gens de mer. Les antirétroviraux qui permettent aux séropositifs de garder leur charge virale sous contrôle sont soit impossibles à obtenir sans ordonnance dans certains pays, soit totalement interdits. Tant pis si vous vous retrouvez à court juste avant d’y faire escale.
En 2020, la situation est encore plus compliquée. En réponse au Covid-19, la plupart des pays ont fermé leurs frontières – y compris aux gens de mer. La crise de la relève des équipages a commencé en mars et a vu 400 000 marins piégés à bord de leurs navires partout dans le monde et dans l’incapacité de rentrer chez eux au terme de leur contrat. La fermeture des frontières et l’impossibilité de descendre à terre ne font évidemment que compliquer encore les choses (et les rendre plus dangereuses) pour les marins séropositifs. Lors d’une récente enquête, près d’un tiers des marins concernés par la crise de la relève des équipages ont déclaré présenter des problèmes médicaux pour lesquels ils devraient recevoir un traitement, sans l’obtenir.
Parce que le VIH s’en prend au système immunitaire, les séropositifs sont plus vulnérables aux infections et à certains cancers. Même s’ils sont sous traitement, des gens de mer séropositifs non soignés pour un problème de santé, aussi mineur soit-il, risquent d’en subir les contrecoups à long terme.
Tout au long de cette pandémie, nous avons constaté que les gouvernements ne reculaient devant rien pour fermer leurs frontières et empêcher l’accès aux soins à ces travailleurs essentiels, indépendamment des conséquences pour leur santé. Certains gouvernements ont renvoyé en mer des navires ayant à leur bord des membres d’équipage infectés par le Covid. D’autres ont empêché un marin présentant des signes d’AVC de descendre à terre pour y être soigné. Même si nous vivons avec le Covid depuis huit mois maintenant, la plupart des pays interdisent toujours les permissions à terre, ce qui empêche les gens de mer séropositifs de se réapprovisionner discrètement en antirétroviraux ou autres médicaments sur ordonnance.
Les gouvernements sacrifient donc les gens de mer, mais sont bien heureux de pouvoir compter sur les marchandises qu’ils acheminent jour après jour. Les « biens essentiels » peuvent débarquer, mais pas les « travailleurs essentiels ». Quelle ironie que des gens de mer séropositifs actuellement dans l’incapacité de descendre à terre pour se procurer leur traitement soient ceux qui acheminent les EPI, les fournitures médicales et sans doute les futurs vaccins dans les mois à venir, comme ils l’ont fait avec abnégation tout au long de cette pandémie.
Malgré ce sombre tableau, je tiens à partager avec vous quelques lueurs d’espoir.
En 2017, l’ITF et AMOSUP, notre syndicat philippin des gens de mer, ont appuyé le lancement du réseau d’entraide et de soutien des gens de mer séropositifs, baptisé Positibong Marino Philippines. Ce réseau apporte soutien, accompagnement, ressources et éducation aux gens de mer séropositifs et à la communauté en général. Il est particulièrement important d’aider les gens de mer séropositifs à comprendre leurs droits, dont celui à la non-discrimination fondée sur le statut VIH.
Le réseau Positibong a gagné en puissance ces trois dernières années, et je suis extrêmement fier de ses victoires.
Je suis fier également que l’ITF ait produit une application mobile pour le bien-être des gens de mer sur iOS et Android, afin que les marins puissent en savoir plus sur le VIH et les moyens d’obtenir de l’aide – y compris de la part de Positibong, et de notre Coordinateur bien-être, qui aide les gens de mer à avoir accès aux traitements et à l’aide dont ils ont besoin, où qu’ils se trouvent.
Si vous lisez ce message et faites partie des centaines de milliers de marins toujours piégés en mer, n’hésitez pas à contacter toutes les aides disponibles. L’ITF, nos affiliés et nos partenaires veulent tous vous aider à trouver des moyens de prendre soin de votre santé en cette période de crise. Vous n’êtes pas seul.
Les syndicats ont pour devoir de défendre les travailleuses et travailleurs des transports séropositifs
En tant que syndicalistes, nous comprenons les notions d’équité et de justice. C’est la raison première de notre affiliation, et de notre investissement personnel dans le syndicat. Nous voulons être traités avec équité et justice – et nous estimons que nos collègues y ont droit aussi.
Mais pour obtenir cette équité et cette justice, nous devons tous prendre conscience de la responsabilité partagée que nous avons les uns envers les autres, et la garder à l’esprit quand nous serons amenés à nous battre. Pour exiger un salaire décent. Pour refuser des conditions de travail dangereuses. Pour réclamer une égalité de traitement pour nos camarades. À ce moment-là, nous ferons grève, tiendrons tête aux oppresseurs, défendrons nos frères et sœurs… La victoire en dépend.
Le mouvement syndical devrait aussi profiter de la situation actuelle pour faire valoir ses revendications. Voilà pourquoi je réitère aujourd’hui la ligne de conduite de longue date de l’ITF à l’intention des syndicats, « Soyez courageux, soyez forts et agissez », pour :
- faire comprendre aux gouvernements et autorités sanitaires que la crise de la relève des équipages et l’accès des marins aux traitements VIH sont une priorité ;
- faire comprendre aux gouvernements que le VIH et le traitement équitable des séropositifs sont un enjeu qui concerne les lieux de travail, notamment sur le plan de l’accès au traitement via l’assurance médicale de l’employeur ;
- développer des politiques sur le lieu de travail et des programmes de sensibilisation, d’éducation et de traitement du VIH/sida en partenariat avec les employeurs et les partenaires sociaux pour améliorer le quotidien des travailleurs des transports séropositifs ;
- soutenir et encourager les gouvernements à appuyer des initiatives qui réduisent le taux de nouvelles infections, notamment avec la gratuité et l’accessibilité améliorée des préservatifs et traitements ;
- promouvoir le financement public de traitements préventifs comme les PrEP, et de prophylaxies post-exposition pour soigner les personnes séropositives ;
- informer les membres de la réalité actuelle du VIH – les modes de transmission, les possibilités de soins et d’aide, et la perspective bien réelle d’une vie longue et en relativement bonne santé avec le traitement et l’accompagnement adéquats ;
- combattre la stigmatisation et la discrimination VIH/sida dans les secteurs que vous organisez, parmi vos membres et au sein de votre communauté. Un pour tous, tous pour un – faites-en votre mot d’ordre.
- être à l’écoute de vos membres séropositifs. De quoi ont-ils besoin ? À quelles difficultés sont-ils confrontés – sur le plan pratique, social, au travail, dans leur vie quotidienne ? Ensuite, aidez-les à résoudre ces problèmes, ensemble.
En cette Journée mondiale de lutte contre le sida, renouvelons notre engagement à agir pour soutenir nos camarades et autres membres séropositifs de cette grande famille syndicale mondiale. Faisons preuve de solidarité, de vraie solidarité, en agissant.
Leurs difficultés sont les nôtres. Leur combat est le nôtre.
Ensemble, la solidarité est indéfectible.
Stephen Cotton
Secrétaire général de l’ITF
1er décembre 2020