DP World se définit comme une entreprise progressiste soucieuse des questions de responsabilité sociale et de responsabilité d’entreprise, qui promeut les droits du travail et agit « de façon responsable en se souciant avant tout de la durabilité et de l’impact sur les individus, les communautés et l’environnement auprès desquels nous opérons ». La société, qui vient de licencier brutalement 800 marins employés par sa filiale P&O Ferries, va désormais devoir répondre sérieusement de ses actes.
Le 17 mars, P&O Ferries a licencié 800 gens de mer britanniques lors d’un appel préenregistré via Zoom, en leur laissant un préavis d’à peine de 30 minutes. La compagnie a pris cette décision sans consulter ses employés, ni leurs syndicats.
La Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) et la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) appellent DP World à prendre part à un dialogue constructif avec ses affiliés RMT et Nautilus International sur l’avenir de P&O Ferries.
« Ce type de tactiques brutales n’est pas sans rappeler le tristement célèbre conflit de 1998 qui avait impliqué la Patrick Corporation, laquelle avait alors entrepris une restructuration de ses opérations dans le but de licencier sa main-d’œuvre, et ne représente rien de plus qu’un mode de gestion désuet et discrédité, » a déclaré Paddy Crumlin, Président de l’ITF et Président de la Section des dockers de l’ITF.
« La décision cruelle de DP World de renvoyer et d’attaquer 800 marins assidus à leur travail représente une violente atteinte à leur dignité, » a déclaré Crumlin. « En agissant de la sorte, l’entreprise enfreint la législation ainsi que ses propres normes. »
En outre, le Président de l’ETF, Frank Moreels, s’est fait l’écho de cette position en soulignant que l’utilisation d’une main-d’œuvre de substitution non syndiquée constituait une violation fondamentale du droit des travailleurs à la liberté syndicale.
« Ce projet d’externalisation de la main-d’œuvre est en lambeaux. Il se dit en Europe que leur stratégie initiale était de remplacer les travailleurs licenciés par des gens de mer russes et ukrainiens, » a déclaré M. Moreels. « Nous assistons aujourd’hui à des manœuvres chaotiques pour tenter de recruter des gens de mer sur des contrats de deux semaines, par l’intermédiaire d’une société-écran douteuse liée aux Paradise papers. »
En 2019, DP World a adhéré au Pacte mondial des Nations Unies. Sa propre politique en matière de durabilité stipule ce qui suit : « DP World est signataire du Pacte mondial des Nations Unies et de ses 10 principes fondamentaux, qui englobent les droits de l’homme, le travail, l’environnement et la lutte contre la corruption. En signant le Pacte mondial, DP World s’est engagée à aligner ses stratégies et ses activités sur lesdits principes. »
« Ils ne peuvent pas jouer sur les deux tableaux, » a déclaré Crumlin, également coprésident du Comité sur le capital des travailleurs (CWC). « Un jour, ils clament haut et fort leur soutien aux droits de l’homme et aux principes ESG, et le lendemain ils licencient 800 personnes, avec un délai de préavis d’à peine 30 minutes. »
L’ITF se fera l’écho de la situation des marins licenciés par P&O à l’occasion de la réunion du Conseil d’administration du Pacte mondial à Dubaï le 28 mars prochain, et le Secrétaire général de l’ITF, Stephen Cotton, a pris attache avec le PDG de DP World Sultan Ahmed bin Sulayem afin d’aborder cette question de façon prioritaire. Cotton remettra également à Sultan Ahmed bin Sulayem une lettre de protestation mondiale signée par des centaines de syndicats et des milliers de travailleurs.
« Nous espérons que Sultan Ahmed bin Sulayem saura saisir l’occasion pour s’engager et faire ce qui s’impose afin de remédier à cette situation et ainsi éviter de ternir encore davantage la réputation de son entreprise et respecter les droits fondamentaux de ces travailleurs, » a déclaré Crumlin.
Lors de l’annonce de licenciement relayée via la plateforme Zoom, P&O Ferries avait évoqué auprès de ses employés une décision « très difficile » mais nécessaire car, en l’absence de tels changements, P&O Ferries ne pourra se maintenir comme « une entreprise viable ».
La société-mère DP World a pourtant engrangé des recettes et des bénéfices records dans le contexte de la pandémie, atteignant 10,8 milliards de dollars de recettes et 1,2 milliard de dollars de bénéfices au cours de l’année écoulée, soit une augmentation de 33 % par rapport à l’année précédente. La société a versé 376,1 millions de dollars de dividendes aux actionnaires au cours des deux dernières années seulement.
Le Times et d’autres sources se sont faits l’écho de l’ampleur du soutien du gouvernement britannique dont DP World a pu bénéficier durant la pandémie, avec plus de 30 millions de livres versées dans les caisses de DP World à titre de fonds d’urgence, y compris par le biais du dispositif de chômage partiel financé par le contribuable.
« Si l’entreprise était réellement en difficulté, ce qui n’est pas le cas, elle aurait dû se rapprocher des syndicats. Cela aurait laissé suffisamment de temps pour tenir des échanges justes et raisonnables et garantir la protection des droits de ces travailleurs ; de même, les passagers de P&O Ferries n’auraient pas été confrontés aux désagréments liés à l’arrêt des opérations ni exposés aux risques inhérents à de tels choix inconsidérés, » a déclaré Moreels.
« Nous ne pouvons accepter une telle situation – ni sur le plan économique, ni sur le plan moral, et il en est assurément de même pour les 800 marins qui ont perdu leur emploi. Comment une entreprise qui déclare des bénéfices records et a bénéficié de fonds publics à hauteur de plus de 30 millions de livres peut-elle justifier cela ? Ou s’en tirer aussi facilement ? »
« Une note de service a fuité, révélant que des ministres avaient eu vent du projet de licenciement de P&O Ferries dans la soirée précédant les faits. Mais ils n’ont pas levé le petit doigt. Depuis trop longtemps maintenant, les élites politiques permettent aux riches de s’enrichir, au détriment de la classe ouvrière. Ce différend va permettre de fixer des limites – le gouvernement doit agir, » a déclaré Moreels.
Paddy Crumlin, Président de l’ITF, a déclaré sans aucun détour : « Dans l’intérêt des 800 travailleurs ayant perdu leur emploi, nous sommes prêts et disposés à faciliter le dialogue entre l’entreprise et les syndicats, mais nous nous tenons également prêts à mobiliser une importante solidarité sur les sites de DP World à travers le monde, si nécessaire, pour défendre les emplois de ces travailleurs. »